Voiliers Traditionnels - Larguez les amarres

, par  Ar Jentilez

Chaque Costarmoricain connaît au moins une chapelle ancienne, un manoir ou un enclos paroissial, richesses du patrimoine historique départemental. Plus rares sont ceux qui ont approché des voiliers traditionnels ou navigué à leur bord. Courte balade ou croisière, l’une et l’autre sont possibles sur cette flottille de navires dont trois sont classés monuments historiques.

En Bretagne, la mer n’est jamais très loin ; la « voile » y est devenue une institution, voire une seconde nature. Dans toute la région, on compte une cinquantaine de vieux
gréements qui naviguent et connaissent une deuxième jeunesse. Nous nous sommes intéressés aux quinze voiliers traditionnels costarmoricains que nous éviterons d’appeler vieux gréements, car certains sont en réalité des répliques. C’est le cas de l’Enez Koalen, copie d’un bocq homardier de Loguivy-de-la-Mer de 1920, construit en 1987 par le charpentier de marine Yvon Clochet pour l’école de mer de Tréguier.

Grâce à une politique départementale et régionale de restauration et de valorisation de cet héritage marin, qui a débuté dans les années 1980, douze bateaux, remis en état ou reconstruits, sont exploités par des associations ou des propriétaires privés. « Selon leur longueur, ils peuvent accueillir de 10 à 28 passagers à leur bord. Près de 9 000 personnes ont ainsi l’occasion chaque année de faire connaissance avec nos paysages maritimes à travers un loisir peu commun », explique Guy Prigent, chargé de mission à Côtes d’Armor tourisme, pour le développement des patrimoines littoraux et de la voile traditionnelle dans le département. Spécialiste du patrimoine maritime, il a longtemps travaillé sur l’inventaire général des communes du littoral.

Quel que soit le bateau sur lequel on embarque - chacun a son bassin de navigation et ses caractéristiques techniques - partir en mer donne une image du rivage différente de celle que l’on peut avoir à terre. Les sorties en mer peuvent donc avoir des objectifs variés, d’autant que la côte est longue - 350 kilomètres entre la Rance et la Côte de granit rose - et qu’il y a matière à observer. Le cabotage permet une lecture du paysage, la découverte des falaises, du balisage de la côte, des estuaires, des vestiges de pêcheries, d’une ancienne cale ou d’un cimetière marin… « Chaque flottille propose un voyage inédit accessible au plus grand nombre ; raconter l’histoire du cabotage, de la pêche côtière, de la Grande pêche, de la plaisance, faire escale dans un petit mouillage comme la crique de Gwin-Zégal, un port de caractère (voir encadré), approcher le moulin à marée de Bréhat ou le phare de Fréhel, sont des manières de revivre des pans de l’histoire de notre département et de démailler le fil de l’identité maritime locale. Mais cela peut également consister à participer à la navigation et aux manoeuvres », poursuit Guy Prigent.

Ce qui est proposé, c’est du loisir sur mesure s’adressant à tous les publics. Pour la plupart, les navires ont le label « Balade et randonnée nautique », délivré par l’association Nautisme en Bretagne. Ainsi, l’Enez Koalen, l’Eulalie et l’Ausquémé organisent des randonnées autour de l’archipel de Bréhat. Certaines balades au départ du port de Lézardrieux ou de Paimpol explorent les lieux qui ont inspiré des peintres comme Signac, Rivière, Lapicque, Faudacq, Sébillot, de Bréhat au Trieux. Pour les bateaux gérés par des associations, les passagers sont le plus souvent des adhérents. Les structures privées engagent un patron plaisance, sous contrôle des Affaires maritimes, au lieu d’un moniteur pour l’encadrement en école de voile.

Si la majorité des balades sont ouvertes à tous, tout le monde n’a pas le même
pied marin. Mais, en tout état de cause, aucune performance technique n’est visée ou imposée. Généralement, les conditions sont précisées avant le départ et la participation aux manœuvres n’est pas toujours obligatoire.

2012 est l’année de plusieurs anniversaires. Notamment celui du Grand Léjon, un lougre de pêche de la baie de Saint-Brieuc, reconstruit sur un plan de 1896, qui a fêté
les 20 ans de son lancement en juillet au port du Légué à Saint-Brieuc. Un bateau classé d’intérêt patrimonial. Il est fréquent qu’à son bord l’accordéon ou les chants de marins accompagnent la manœuvre ou la pêche à la traîne.

Le Grand Léjon en régate
Philippe Saudreau


Un héritage valorisé

La Sainte-Jeanne (1912), réplique d’un sloop qui transportait les pavés des carrières de grès, est rattachée au port d’Erquy. Elle cabote entre le cap Fréhel et Bréhat ou navigue jusque dans les îles anglo-normandes.

La Sainte Jeanne devant le jetée de l’ancien port d’Erquy
Guy Prigent

Autre voilier partant vers les anglo-normandes, le Saint-Quay, armé pour la pêche aux grands crustacés - son vivier contenait 1 800 langoustes - et à la coquille. Il navigue désormais en école de voile et promet quelques dégustations de produits.

Flambart de Dahouët, ancien bateau-pilote et armé au chalut à perche, la chaloupe la Pauline date de 1901. Elle a fini sa carrière à Pleubian au goémon. Elle est à quai dans l’ancien port Terre-Neuva de Dahouët à Pléneuf-Val-André.

« Frotte-berniques » est le surnom du Dragous de Saint-Jacut-de-la-Mer ; comme son nom l’indique, ce petit dragueur trapu rase les cailloux de la côte d’Emeraude. Il draguait autrefois les petits fonds au chalut à perche. Aujourd’hui, il enseigne les
manoeuvres aux marins d’un jour avec le centre nautique de Saint-Cast-le-Guildo.

Vingt ans aussi cette année pour l’Ar Gentilez ou Jentilez basé à Perros-Guirec, un ancien goémonier. Il navigue dans l’archipel des Sept-Iles, où l’on peut voir fous de bassan, phoques et macareux. La Clarté, gréée en flambart, construite en 1967 par François Hervé, charpentier de marine de Trégastel et le Kotick, construit en 1931 par le chantier Moguérou de Carantec, naviguent en association avec Ar Gentilez.
Ploumanac’h abrite un ancien bateau de sauvetage, l’Aimée Hilda, construit en 1949 et restauré par l’association. On peut naviguer sur ce dernier canot de sauvetage encore à flot ou simplement le visiter.

On ne peut oublier le plus gros des voiliers de la flottille traditionnelle, la
Nébuleuse, un ancien thonier attaché à Paimpol qui peut embarquer 28 personnes.
Ce bateau, propriété de Voiles et Traditions, propose des croisières en Bretagne, dans le golfe de Gascogne et aux Iles Scilly, au large de la Cornouailles britannique.

Le port de Locquémeau, qui eut son heure de gloire pour la sardine et le thon jusqu’en 1950, a aussi son bateau creux, non ponté, le Barr Awel. Quant
au langoustier Sant C’hireg, il propose la découverte des oiseaux des Sept-Iles en même temps que la culture bretonne des gens de mer et il initie aux belles manoeuvres.

Le Sant C’hireg à Ploumanac’h
Denis Le Bras

Avec l’Eulalie, réplique d’un sardinier de Douarnenez, on peut approcher l’abbaye de Beauport, découvrir l’estuaire du Trieux ou encore débarquer sur l’île Verte, au départ de Lézardrieux. Et cerise sur le gâteau, une initiation aux cartes marines est proposée.

L’Eulalie dans le Trieux
Dominique Sicher

Attaché à Penvénan, l’Ausquémé navigue depuis 30 ans en Bretagne nord et pratique la pêche au maquereau, tout comme la Marie-Georgette de Plougrescant, d’où l’on part avec le skipper, marin pêcheur et conchyliculteur de surcroît, relever les
casiers.

Enfin les six doris de l’association Doris de la baie sillonnent la baie de Saint-Brieuc et participent aux fêtes de la mer à Binic.

Deux bateaux sont classés monuments historiques :

  • Le Kotick, cotre de Carantec, qui fête ses 80 ans. Entièrement restauré, il navigue dans un cadre associatif à partir de Ploumanac’h.
  • Le Rigel, un ancien maquereautier de Saint-Malo, armé en pêche puis en plaisance, a navigué comme bateau école pour le cercle nautique de la Marine. Classé en 1992, cédé à la Ville de Binic, il est entre les mains de l’association L’Etoile de Binic depuis 2003.

Un nouveau tourisme culturel nautique

Avec un nombre conséquent d’anciens gréements, les Côtes d’Armor ont beaucoup misé sur le marché de la voile traditionnelle labellisée, gage de qualité et de professionnalisme, qui concourt au développement de l’économie maritime locale et rend plus attractifs encore les territoires de destination et leurs portes océanes.


Source

Article de Joëlle Robin tiré du Magazine « Côtes d’Armor » n°112 - Septembre 2012
Crédits photos : Dominique Sicher, Denis Le Bras, Guy Prigent, Philippe Saudreau

Voir en ligne : Article du Magazine "Côtes d’Armor" n°112 - Septembre 2012